Droit à la déconnexion

Droit à la déconnexion dans l’entreprise : quelle approche adopter?

Par François Chauvin*

 

La loi Travail, votée l’an dernier, instaure à compter du 1er janvier 2017 un « droit à la déconnexion » dans les entreprises de plus de 50 salariés. Celles-ci ont l’obligation de négocier ou de prendre des mesures unilatérales afin de reconnaître l’exercice de ce droit par leurs salariés. Quelles démarches engager ?

 

Les employeurs doivent mette en place en ce début d’année 2017, de manière négociée ou unilatérale, une régulation de l’usage des outils numériques afin de contribuer au respect du nécessaire équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Comment faut-il « réguler » au niveau d’une entreprise de plus de 50 salariés (seuil prévu par la loi Travail) les conséquences de la transformation digitale de l’économie et de la société ?

Quel contenu inclure dans les accords négociés ? Comment favoriser le développement des usages numériques indissociables du fonctionnement actuel de l’entreprise, tout en limitant les excès constatés ces dernières années ?

Par analogie avec la gestion du risque routier, cette soft law demande à l’employeur de mettre en place une Prévention Routière et, dans le même temps, de poursuivre les chauffards, et tout cela en l’absence de règles précises !

L’application de la loi pose un réel problème aux dirigeants d’entreprises qui doivent éviter de buter sur un double écueil :

  • Rester dans le registre préventif en mettant en place exclusivement une régulation soft. Outre le fait qu’une régulation soft au titre de chartes ou codes de bonne conduite peut avoir un caractère opposable, elle ne prémunit pas contre le comportement des « chauffards »…
  • Plaquer sur l’ensemble du corps social des règles destinées à limiter les abus de quelques « chauffards ». Au-delà des effets d’annonce et de leur dimension volontariste, ces règles peuvent au final rendre encore plus difficile l’usage du numérique pour une majorité de salariés.

En matière de prévention, les grandes entreprises et les think-tanks qui ont nourri la réflexion sur ce nouveau droit à la déconnexion, ont imaginé toute une palette d’actions qui relèvent de deux logiques que nous résumons ci-dessous : 

  • Une première série de mesures relève quelque peu de la nostalgie.

Il est toujours possible de penser qu’il y avait une époque rêvée où il était possible de travailler sans « infobésité », mais en cherchant à y revenir, le risque évident est de mettre les personnes en difficulté en voulant les aider. Il peut s’agir :

  • De bloquer le flux d’information, pendant le week-end, pendant les congés, la nuit, avec toutes les pratiques de contournement que cela peut entraîner (report sur des réseaux sociaux, envoi différé …)
  • De promouvoir le travail collaboratif plutôt que les mails, ce qui est une manière d’endiguer le tsunami numérique.

 

  • Une deuxième » série de mesures relève davantage d’une logique d’accompagnement des évolutions technologiques avec la difficulté de « coller » au rythme très rapide de ces évolutions. On y retrouve  notamment :
  • Les actions de sensibilisation et de formation, voire de traitement des addictions numériques
  • Les guides et chartes d’utilisation
  • Le mentoring inversé des seniors par les jeunes
  • Des dispositifs de mesure et d’alerte, avec fenêtre pop up, bilans individuels et collectifs
  • Un travail sur l’organisation, allant de la mise en place de back-up pendant les congés jusqu’à un travail plus profond sur l’entreprise et ses flux d’information internes et externes
  • Des enquêtes de perception des salariés sur ce phénomène.

Pour notre part, nous recommandons aux dirigeants de trouver un juste équilibre dans l’application de la loien agissant avec pragmatisme.

Nous recommandons d’adopter une démarche progressive dans la mise en place de ces dispositifs de prévention, en évitant un « catalogue de mesures » applicable dès 2017, le sujet étant hautement évolutif et difficile à cerner.

Il convient aussi de privilégier tout ce qui relève de la mesure du phénomène (enquêtes, indicateurs, système de remontées de situations à traiter). Il faut faire très attention à la portée des dispositions prises et à la forme : certaines peuvent avoir un caractère contraignant et dès lors être opposables aux salariés mais aussi à l’employeur.

Ce volet prévention doit s’inscrire dans une notion de coresponsabilité : la responsabilité partagée  de l’employeur et des salariés qui part du principe que chacune des parties accepte de jouer le jeu.

On ne peut toutefois exclure qu’il existe des « chauffards numériques ». La sanction de leurs agissements pouvant amener à des mises en cause de l’entreprise pour n’avoir pas pris les mesures préventives nécessaires ou n’avoir pas su les appliquer, d’autant plus s’il s’agit de personnes investies d’une fonction d’autorité.

Le cadre pour traiter ces « chauffards numériques » existe d’ores et déjà. Une revue des dispositions existantes est à effectuer pour sécuriser l’entreprise dans une démarche classique d’audit social : droit d’alerte, droit de retrait, dispositions des accords et contrats de travail sur le forfait jour, sur le travail à domicile, sur les régimes d’astreinte, sur les conditions d’exercice du droit disciplinaire (moyens de preuves), règlement intérieur, Loi Informatique et Liberté. Ces dispositions, éventuellement toilettées, peuvent être rappelées dans le cadre de la régulation à mettre en place.

Enfin, nous recommandons, dans des environnements potentiellement conflictuels, la mise en place d’un droit d’alerte et de médiation.

La médiation nous parait particulièrement adaptée dans un domaine où il est nécessaire d’apporter des réponses à des situations de conflit en dehors de l’application de règles stables. Elle peut limiter les recours abusifs, notamment dans le cadre de départs de salariés et aussi aider à faire évoluer de manière pragmatique les règles sur le droit à la déconnexion.

 

* François Chauvin, coach et consultant en ressources humaines